La découverte d'un nouveau réseau de sociabilité en Syrie: les milk-shakes...

Publié le par Samâan

De nombreuses questions se posent quant aux divertissements qui peuvent exister dans un pays tel que la Syrie, si ces divertissements sont les mêmes qu’en Occident ou pas et s’ils sont nombreux… Or ce n’est pas que les divertissements occidentaux traditionnels soient interdits en Syrie, car il existe des bars, des boîtes de nuit, mais en réalité, il faut intégrer parfois le communautarisme urbain, distinguer les quartiers chrétiens, proches de nos quartiers, avec des loisirs de nuits, proches des nôtres et les quartiers à majorité musulmane, où d’autres formes de divertissement existent.

 

Parmi eux il y en a surtout un qui se développe partout en Syrie : c’est les vendeurs de jus de fruits et de milk-shakes. Je vois déjà les rires goguenards de certains de mes lecteurs, qui m’imagineraient avec un milk-shake et une paille à la main, refaisant le monde. En réalité, c’est à peu près ça.

 

A boire dans de grandes choppes, tandis que nous, nous mettrions un liquide un peu plus alcoolisé comme de la bière par exemple, les Syriens y mettent du lait, des fruits, surtout de la banane en réalité et se réunissent entre amis, en famille soient dehors dans les rues sur des terrasses improvisées, soit à l’intérieur, si un espace est aménagé ou encore soit dans leur voiture quand ils en possèdent une.

 

Ainsi, nombreux sont les Syriens, de toutes catégories sociales confondues, qui chaque soir se déplacent buvant leur jus, leur milk-shake, ou bien leur glace. Bref, un vrai lieu de sociabilité, comme les bars pour nous, qui sont même l’objet de rencontres peu communes.

 

Utilisant leurs portables et la nouvelle technologie bluetooth, il est en effet désormais possible pour un jeune Syrien, en mal d’indépendance du fait de la chape de plomb familiale, de se raccrocher des stigmates de la vie occidentale, celle des séries à la télévision, celles du cinéma, celle de la génération « teenagers ». Repérant une série de noms, de surnoms sur son écran de portable, qui viennent tous des alentours, le jeune Syrien, en profite pour repérer qui est qui dans une sorte de remake de jeu du « chat et de la souris », qui n’est tout compte fait que le seul moyen de rencontrer d’autres semblables.

 

Bref, les vendeurs de jus sont l’occasion pour ces jeunes Syriens de connaître et de rencontrer d’autres jeunes, en évitant la surveillance stricte et rigoureuse des parents, lorsqu’ils possèdent un ordinateur familial ou un téléphone fixe. Le plus intéressant est de se poster et d’observer ces jeunes réaliser leur petite parade. Ils ont en général entre 18 et 35 ans, pour ceux qui vivent encore chez maman et ils sont nombreux en Syrie, du fait d’un passage à l’âge adulte soudain, marqué par un mariage sans connaître l’adolescence et l’apprentissage de leur identité.

 

Le phénomène prend tellement d’ampleur et a tellement de succès que de nombreuses boutiques pignon sur rue, en profitent pour délivrer de savoureuses mixtures pleines de vitamines à des jeunes en pleine croissance. Chaque rue, ou pour ainsi dire, chaque quartier de quatre immeubles a son vendeur de jus. Se nommant « Abou Shaker » ou « Abou Abdou », on pourrait au moins comparer les noms à nos buvettes et nos guinguettes « chez Michel », « chez Robert » mais en leur attachant un petit parfum de modernité et de mode avec la « Syrian touch ».

 

Rêve des parents en Occident, si on leur disait que cela existe, ces jus de fruits et milk-shakes marquent donc fondamentalement une alternative et surtout une évolution dans la société syrienne : celle d’un nouveau réseau de sociabilité que s’approprient de plus en plus de jeunes, souhaitant sortir eux-mêmes du cocon familial avant le mariage et souhaitant se responsabiliser, en faisant d’autres rencontres hors de l’environnement familial et de l’entourage proche, des réseaux de sociabilité traditionnels (école, quartier).

 

 

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